“WE MUST HONOR THE BIRTH OF MARY MOUNOUTCHI”
Here is an interview of Ernest Moutoussamy, an Indian-origin leader from Guadeloupe, a former Mayor for 19 years, and a former Member, French National Assembly for 21 years. It is brought to our readers by Christelle Gourdine-Mandjiny, a member of our magazine’s Global Advisory Board. The interview took place at St François, Guadeloupe, on August 2, 2023. It makes for a fascinating read and is one for the archives and posterity. It is published in both English and French.
FRENCH VERSION
«NOUS DEVONS HONORER LA NAISSANCE DE MARY MOUNOUTCHI»
Voici une interview d’Ernest Moutoussamy, un leader politique d’origine indienne qui a été Maire pendant 19 ans et Député à l’Assemblée nationale française pendant 21 ans. Elle a été réalisée pour nos lecteurs par Christelle Gourdine-Mandjiny, membre du Global Advisory Board de notre magazine. L’entretien a eu lieu à St François, Guadeloupe, le 2 août 2023. C’est une interview passionnante, destinée aux archives et à la postérité. Elle est publiée en anglais et en français
M. Moutoussamy, pour commencer, je vous laisse vous présenter aux lecteurs d’India Empire:
Je suis Ernest Moutoussamy, ma famille est d’origine indienne, installée dans l’île de la Guadeloupe depuis très longtemps.
J’ai été élu par la population Député de la Guadeloupe en 1981 et je suis resté à l’assemblée nationale française pendant 21 ans. J’ai donc représenté le peuple guadeloupéen, toutes origines confondues dans cette assemblée nationale où j’ai eu l’occasion de rencontrer Madame Indira Gandhi durant une visite officielle en France.
J’ai été aussi Maire de ma commune, Saint-François, pendant 19 ans, ainsi que Conseiller Général et Conseiller Régional.
Je dois d’ailleurs mes élections à plus de voix d’origine africaine que de voix d’origine indienne. L’intégration des Indiens n’a pas été facile mais finalement elle a été réalisée dans mon cas
Par ailleurs, je suis passionné d’écriture, non pas un écrivain, mais un paysan de l’écriture, et je cultive l’écriture comme je cultive la terre. J’ai écrit beaucoup de livres de poésie, des romans, des essais. Au total, actuellement, j’ai trente-huit livres qui ont été édités avec une volonté de faire connaître la communauté d’origine indienne mais aussi le métissage de notre île.
Tous les ans, nous commémorons le jour de l’arrivée des engagés indiens en Guadeloupe, nous célèbrons la mémoire d’Henry Sidambarom qui a permis aux descendants de ces engagés de devenir des citoyens français, la culture indienne est mise en avant dans des festivités locales.
Pour autant, notre histoire n’est pas vraiment intégrée à l’histoire de la Guadeloupe et pas du tout dans l’histoire de France.
Quel récit peut-on proposer aujourd’hui pour avancer sur ce sujet ?
Il est évident, aujourd’hui, quand on observe la Guadeloupe que la présence indienne est physique même s’il y a beaucoup de métissage.
Elle est aussi marquée par le culte religieux car on a beaucoup de compatriotes qui pratiquent le culte hindouiste, et par un certain nombre d’activités culturelles, un patrimoine d’origine indienne.
Mais du côté de la pensée, de la recherche, le vide est quand même assez important car peu de nos compatriotes écrivent. Il y a quelques auteurs, quelques personnalités qui se lancent dans l’écriture, mais personnellement, je considère qu’il y a encore beaucoup à faire et qu’il serait nécessaire que nos intellectuels d’origine indienne s’investissent davantage dans l’écriture, dans la recherche, dans l’expression poétique ou romantique, et fassent connaître au mieux cette présence d’origine indienne.
C’est ce qui m’a motivé à écrire parce que pendant plus d’un siècle, le silence était total et il n’y avait aucune présence intellectuelle de cette communauté ici, en Guadeloupe.
Je me suis investi dans la quête de témoignages, notamment auprès des anciens et aussi en étudiant tous les écrits relatifs à l’Inde.
C’est ainsi qu’on a eu la chance, un heureux hasard, de trouver des informations sur le premier enfant de l’Inde né en Guadeloupe. Il est né le 27 janvier 1855 aux Abymes.
Sa maman, Mounoutchi Coulapin est arrivée sur l’Aurélie, le premier convoi d’engagés venu de l’Inde. Elle a débarqué le 24 décembre 1854 et elle a accouché un mois plus tard en Guadeloupe, un pays totalement inconnu.
Imaginez cette femme qui arrive seule dans une habitation sucrière, personne ne parle sa langue, des conditions de vie difficile. Elle a quitté l’Inde enceinte, a traversé les océans durant 3 mois et est arrivée pour donner naissance à sa fille, à l’aide de femmes d’origine africaine car il n’y avait personne d’autres pour l’aider à accoucher. Ce fut une rencontre symbolique entre l’Inde et l’Afrique, entre femmes qui ne parlent pas la même langue mais se sont comprises pour donner la vie. Nul doute que cela a créé des liens forts entre elles.
Le bébé a été nommé Mary Mounoutchi.
Une très belle histoire, j’imagine aisément votre émotion en la découvrant. Comment permettre à cette histoire de s’ancrer dans notre histoire collective ?
Cette naissance doit être honorée et commémorée aussi.
Nous envisageons d’organiser le 25 janvier 2025 une manifestation culturelle pour rendre hommage à la mémoire de cette première fille de l’Inde née en Guadeloupe et fêter son 170ème anniversaire.
Je souhaite que le gouvernement indien s’intéresse à cet événement qui est hautement symbolique et qui marque la présence de sa diaspora ici en Guadeloupe.
Paradoxalement, cette fille est née et a été élevée aux Abymes, une commune où se trouvaient essentiellement des descendants d’esclaves et nous organiserons les célébrations dans cette ville et avec l’appui de son Maire, M. Jalton qui a été agréablement surpris de cette découverte.
C’est presque miraculeux d’avoir fait cette découverte car on peut constater que le nom de la maman et de l’enfant sont différents.
Entre les problèmes de communication et la prononciation, on peut imaginer les difficultés à faire cette déclaration de naissance. La maman a certainement voulu donner un nom indien à son enfant mais la loi française n’acceptait que les noms catholiques donc Mary a été ajoutée à son prénom.
Qu’en est-il de la descendance de Mary Mounoutchi?
Malheureusement, on n’a rien trouvé dans toutes les archives concernant la maman. Puis on a découvert que cette petite fille était décédée deux ans après sa naissance.
Si sa naissance fut un grand évènement, son décès l’est tout autant puisque c’est peut-être le premier enfant de l’Inde mort en Guadeloupe. Je dis peut-être car toutes nos recherches n’ont pas abouti.
En tout cas, je souhaite que tous ceux qui ont une considération de l’Inde et qui, aujourd’hui, parle de diaspora, de cette présence de l’Inde dans différents pays, prennent en compte cet événement qui relève d’une importance capitale pour nous. La naissance de cet enfant ouvre le chemin à des dizaines, voire centaines de milliers d’autres qui ont quitté l’Inde pour d’autres pays du monde.
Pas de descendance, mais sait-on si cette fille a eu des frères et sœurs ?
Les recherches sont difficiles car les archives ne comportent pas d’éléments précis concernant ces indiens venus de l’Inde. Quand on trouve quelques documents, il est simplement indiqué « né en Inde ».
On n’a donc pas de descendants du point de vue biologique, mais le nom a continué à exister, et le nom Mounoutchi existe encore en Guadeloupe. Comme une coïncidence de l’histoire, ce serait le nom de la première femme médecin d’origine indienne en Guadeloupe.
Quand j’ai appris la nouvelle de la naissance de cet enfant au Dr. Mounoutchi, je lui ai donné les documents que j’avais car malgré ses recherches, elle n’avait pas pu établir les liens avec ses origines.
Beaucoup de gens essayent de faire des recherches, moi-même j’en ai fait pour ma famille en Guadeloupe, en Inde à Pondichéry, Calcutta mais on ne retrouve pas les registres qui devaient répertorier ces engagés.
Je suis allée aux Archives de Trinidad et leurs documents sont bien conservés et les recherches sont possibles.
Qu’est-il donc arrivé à nos archives ?
Je pense qu’il s’agit d’une lacune importante de l’État français.
La colonisation anglaise reconnaissait les communautés et donc leur existence était bien définie. Par conséquent, dans toutes les îles sous domination anglaise, la présence indienne est bien intégrée et explicitée.
Dans le système français, qui repose sur ce qu’on appelle l’assimilation c’est-à-dire l’intégration, il n’y a pas eu cette préoccupation, et de fait la volonté des pouvoirs publics était de faire disparaître tout ce qui pouvait expliciter l’indianité.
Même les noms étaient francisés et ne respectaient pas l’orthographe d’origine. Ces archives n’ont pas été codifiées comme il fallait parce que ceux qui sont arrivés n’ont pas été déclarés dans des documents officiels et ils ne l’étaient qu’au moment de leur décès.
Cette première page pour les nouveaux arrivants reste totalement vide et floue et ce n’est qu’avec la naissance des enfants en terre de Guadeloupe que les premières déclarations ont été faites.
Des archives auraient aussi été brûlées, certaines ont été perdues et de fait, aujourd’hui il est difficile de reconstituer complètement l’arbre généalogique. Comme vous, j’ai essayé de le faire pour ma famille. Autant pour ceux qui sont nés ici, il n’y a pas de problème. Mais pour ceux arrivés de l’Inde, il est juste indiqué « né en Inde ».
Effectivement, c’est difficile de faire ces recherches et très frustrant de ne pouvoir aller plus loin que « né en Inde », « née à Calcutta » ou « né à Pondichéry », les ports de départ. Merci M. Moutoussamy pour cet entretien et l’annonce de ce bel évènement à venir en 2025 qui permettra peut-être de lever le voile sur le mystère de nos archives.
L’invitation est donc lancée à la diaspora indienne et au gouvernement indien pour y participer. Vous pouvez compter sur India Empire pour en parler !
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